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Enseigner le yoga comme on enseigne une langue.

Photo du rédacteur: padmasanapadmasana


Qu’est-ce qui est le plus important quand on commence à transmettre une langue à quelqu’un ? Est-ce d’apprendre par cœur les verbes et la grammaire ou bien de s’immerger dans la langue sans forcément en comprendre toutes les subtilités mais en baignant dans un flux de mots, d’intonations, dans la culture de la langue ?

Peut-on apprécier réellement une langue si l’on commence par la décortiquer ? Peut-on en saisir la beauté ?


Un conte soufi raconte l’histoire d’un savant grammairien qui vient voir un maître soufi et lui pose la question suivante : « Tu sais maîtriser, bien sûr, les rudiments aussi bien que les aspects les plus abstrus de ta tradition. Alors, pourquoi n’enseignes-tu pas de façon cohérente ? » Il rajoute que lui-même en tant que savant se met à la place des débutants et leur enseigne les notions élémentaires pour aller ensuite vers les connaissances supérieures.

Le maître soufi lui propose alors de donner une série de cours de grammaire basique aux chats et chiens du quartier. Le savant s’exécute et revient le voir quelques temps après, le maître lui demande si les chiens et les chats ont appris la grammaire. Le savant lui dit que non, pas un seul.

Le maître lui demande pourquoi il suppose qu’ils ne savent rien, ce à quoi le savant répond que c’est dû au fait qu’ils ne soient capables ni de parler ni de comprendre ce qu’il dit, et qu’il faudrait si possible commencer par là. Le maître soufi lui répond : « C’est la réponse à la question que tu m’as posée la première fois. »*

Ce conte illustre bien la vision que j’ai de l’enseignement tout autant du yoga que d’une langue. Pour qu’on ait envie de pratiquer le yoga ou la langue, rien de tel selon moi que de s’immerger complètement dedans.


Une de mes enseignantes dit toujours que l’ashtanga c’est comme plonger dans le grand bain sans savoir nager. Je trouve l’image très juste. L’intérêt n’est pas de se noyer complètement, l’enseignant et les pratiquants autour sont comme des bouées de secours auxquelles se rattacher. Mais l’intérêt est de vraiment goûter au cœur de la pratique, à la beauté de la langue. Faire corps avec les sonorités, les vibrations, les gestes et les mouvements.

S’immerger c’est se baigner dans ce flux, c’est être dépaysé, c’est goûter à des saveurs différentes, pour avoir l’envie d’y retourner et d’en savoir plus. Pour avoir l’envie de savoir cuisiner le plat, pour savoir comment parler la langue, pour savoir comment respirer à travers l’enchaînement de postures.

Et quand alors on devient plus familiers avec la pratique, quand les saveurs perdent un peu de leur exotisme alors c’est là que plonger plus en profondeur dans la connaissance fine de la langue devient intéressant, et peut selon moi être vraiment apprécié.

Au début ce que l’on souhaite c’est savoir s’exprimer un minimum, c’est être en capacité de comprendre un peu de quoi il s’agit, et puis avec le temps on va peut-être vouloir s’exprimer de manière plus subtile, acquérir plus de vocabulaire pour être encore plus en adéquation avec l’expression de nos sentiments. On va donc petit à petit acquérir cette perception plus fine des choses.


Le chemin de la profondeur dépend de chacun, et il n’est pas forcément utile à tous d’aller au fond des choses pour les comprendre, pour les intégrer dans sa vie et pour en tirer un bénéfice quelconque. En tant que professeure donner une vue d’ensemble de ce que j’enseigne est finalement ce qui est important à mes yeux. Je ne suis pas là pour former quelqu’un à devenir un technicien de la méthode ou un grammairien parfait, mais plus pour intégrer par les sens de quoi il est vraiment question. Dans le cas précis de l’ashtanga c’est de cette méditation en mouvement dont il est question. C’est cet état altéré de conscience où l’on entre comme dans une danse, comme dans une transe.

Plutôt que de tout vouloir comprendre intellectuellement, de vouloir faire tout à la perfection, juste entrer dans la danse, se laisser porter et flotter par le flux de mouvements, par l’écoute de la respiration, par la sensation des vibrations, par ce que nos sens nous envoient comme information.

Finalement, oser se laisser transpercer et transporter par l’organicité du vivant, par la vie elle-même.




*SHAH, Idries. Contes et récits soufis. Editions Desclée de Brouwer. 2019

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